Le quatrième recueil de nouvelles de l’écrivaine américaine Amy Hempel, Le Chien du mariage (Cambourakis), nous plonge dans le quotidien pas si ordinaire de femmes qui se débattent et s’ébattent. Mais ce ne sont pas tant leurs histoires qui importent que ce que l’autrice veut nous dire à travers elles : chaque instant de vie vaut que l’on s’y attarde et que l’on décortique, une à une, les émotions qui nous assaillent.

 

La nouvelle est un art délicat, surtout quand il s’agit de constituer un recueil. Faut-il associer des récits qui n’ont rien à voir, qui racontent tout et parfois son contraire pour varier les plaisirs, au risque peut-être d’avoir un rendu inégal, un livre dans lequel on se perd ? Ou vaut-il mieux avoir un fil conducteur, pour plus de constance et de cohérence, au risque cette fois d’avoir un résultat répétitif, un ouvrage qui traîne en longueur ?

Amy Hempel, dans son recueil Le Chien du mariage, a fait le second choix. Les récits pourraient être le fait d’une seule héroïne. Chaque nouvelle semble en effet être un moment de sa vie, nous évitant de tomber dans la répétition et l’ennui, et révélant par la même l’importance de tout ce que nous vivons, dans la banalité comme dans l’adversité. À moins qu’il ne s’agisse d’histoires vécues par différentes personnes, dont les points communs seraient les chiens et la fin de l’amour ? Aucune réponse n’est donnée, laissant libre cours à l’interprétation des lecteurs-rices. Au fond, peu importe ce qu’il en est réellement. Il est parfois nécessaire, dans la lecture comme dans le quotidien, d’accepter de ne pas tout comprendre et de simplement se laisser porter.

La force d’Amy Hempel est de décrire avec justesse chacun de ces instants de vie : la fuite pour oublier, une mésaventure administrative, des fantasmes et des ébats, la violence des hommes, l’utilisation de tests de grossesse, la perte de sentiments, la mort aussi. Sans oublier la présence des chiens, personnages principaux dont le rôle reste flou, mais qui rythment les récits d’une humanité surprenante. La romancière nous entraîne parfois loin dans le mystère des émotions, dans l’absurdité de la vie.

Quoi qu’elle raconte, l’autrice garde une écriture pleine de sobriété, teintée d’humour. Il n’y a pas de grandes tirades ni d’expressions grandiloquentes. Elle choisit ses mots avec précision, rendant compte des douleurs ou de l’amour avec retenue, presque avec pudeur. On y trouve aussi des pépites. Des phrases, des paragraphes qui font écho à un vécu difficile, parfois indicible : « Une veille de vacances, on a l’impression d’avoir un endroit où aller simplement en étant sur la route au milieu de tant d’autres qui en ont. Voilà : un endroit où aller. Une destination » (p. 18). Des mots qui arrivent en soutien pour te rappeler que tu n’es pas seul-e, que tu es compris-e. D’autres passages racontent le soulagement, la délivrance, la vie qui, d’un coup, devient acceptable, presque belle. Chacun-e pourra trouver dans ce recueil un extrait qui lui parlera intensément, qui transformera une peur ou une victoire en littérature.

La nouvelle « Les Intrus » se distingue particulièrement tant elle est poignante. La narratrice raconte ses tests de grossesse à deux périodes de sa vie ; les circonstances, ses ressentis. Et relate son expérience au standard d’un centre d’appels d’urgence pour les victimes de viol. Amy Hempel garde sa sobriété et sa finesse habituelles. Cependant, avec un tel sujet, il y a évidemment des phrases qui résonnent en nous : « Durant les cours que j’ai suivis avec mon groupe de femmes, on nous a expliqué qu’il fallait suivre nos instincts, que si on avait l’impression d’être suivie, c’est qu’on l’était probablement. […] Quand je me suis retournée, j’ai vu le couteau » (pp. 38-39). En plus de passer d’une période à l’autre, l’originalité de cette nouvelle est d’intégrer des répliques d’un long-métrage fantastique, La Falaise mystérieuse (de Lewis Allen, 1944), vu et revu par la narratrice. Celle-ci entremêle son récit à celui du film. Parce qu’il fait écho à ce qu’elle vit. L’art a cet objectif-là, raconter des histoires dans lesquelles on peut se retrouver, ou trouver quelque chose qui nous ressemble, nous aide.

Une nouvelle beaucoup moins pudique, et bien plus joyeuse, clôt le recueil. Dans « Offertoire », la narratrice joue avec son amant. Elle lui raconte ses aventures sexuelles avec un couple et crée l’histoire au fur et à mesure, pour en faire un fantasme répondant aux envies de son partenaire. L’autrice ne tourne pas autour du pot et décrit les actes tels qu’ils sont, sans en faire trop, sans non plus atténuer la sensualité et cacher le sexe. Au-delà de l’aspect érotique, cette histoire pose la question de ce que l’on dit pour (se) faire plaisir, et de la vérité que l’on maquille sans conséquence et qui peut faire du bien.

Les histoires d’amour, les fins et les renaissances sont à la fois uniques et universelles. C’est pour cette raison que Le Chien du mariage peut représenter une vie ou plusieurs. C’est pour cette raison aussi qu’il nous a plu. Il met en lumière ce qui nous anime au jour le jour, s’éloignant de la littérature comme moyen d’évasion et nous raccrochant à une réalité forte, et parfois déplaisante. Avec cet ouvrage, Amy Hempel raconte des histoires qui pourraient être les nôtres ou qui, à tout le moins, portent en elles nos éventualités.

Le Chien du mariage Couverture du livre Le Chien du mariage
Cambourakis
22/08/2018
107
Amy Hempel
Vissac
16,00 €

Le Chien du mariage est le dernier recueil de nouvelles en date d’Amy Hempel, certainement son plus incisif, encore inédit en français. On y retrouve un certain nombre de ses thèmes de prédilection : la complexité des rapports humains (des relations hommes-femmes souvent conflictuelles, voire résolument violentes), la difficulté à se remettre de ses traumatismes, ou la vie aux portes du royaume animal pour reprendre le titre d’un de ses précédents recueil.