Anto te raconte son parcours de combattante, depuis la prise de conscience des violences conjugales qu’elle a subies jusqu’aux débuts de son militantisme contre les féminicides. Et dans tout cela, un fil rouge : la colère.

 

Deuxième Page lance son premier magazine papier, avec pour thème la colère ! On y parle de militantisme, d’histoire, de culture, de société, à travers des analyses, des tribunes, des critiques, des interviews, des chroniques ou encore de l’écriture créative. Tu peux te le procurer sur notre page Ulule. Pour accompagner notre financement participatif, nous publions sur notre webzine, et tout au long de la campagne, du contenu en lien avec la colère. Merci de nous soutenir !

 

Ça commence par un choc, une explosion. Incapacité de penser, de comprendre, de réaliser. Un choc traumatique dont le nom fait peur, fait bien comprendre l’ampleur de ce qu’il se passe à l’intérieur. La colère arrive après. Pour parvenir à la ressentir, il faut d’abord réaliser l’inacceptable : j’ai laissé un homme être violent envers moi, physiquement et psychologiquement. La colère porte mille visages. Elle se cache partout. Sa première version est explosive, puissante, lumineuse, glorieuse. Elle rassérène, rassure : je vais déposer plainte, il va avoir ce qu’il mérite, ira en prison, payera pour ce qu’il a fait. Cette colère est porteuse, elle permet de franchir les premières étapes, celles durant lesquelles on demande de l’aide, on formule les événements : j’ai été victime de violences conjugales.

Puis, peu à peu, cette vaillante colère s’épuise face aux délais administratifs. Un mois et demi d’attente pour consulter un médecin afin de déterminer des incapacités temporaires de travail (ITT). Des heures d’attente au commissariat pour parler à des policiers-ères sceptiques, te faisant pour certain-e-s repartir en pleurs. Une confrontation durant laquelle la policière prend parti pour ton agresseur et lui conseille de porter plainte contre toi pour diffamation. Alors, la colère devient sournoise, elle s’infiltre, entache tout. Plus rien n’a de goût, tout est gris. Elle enfle comme un orage, mais tu ne veux pas la regarder en face, tu n’as plus l’énergie. Elle se répand en toi. Parfois, tu vois des jeunes couples rire dans la rue, et tu ne te souviens plus quand tu t’es sentie légère comme ça pour la dernière fois. Tu es en colère contre lui, la police, le système, toute personne autour de toi qui doute, même une seule seconde, de ce que tu affirmes. Tu es en colère de te voir changer, de te voir craquer, avoir peur, pleurer, perdre du poids : je ne veux pas être faible, je veux lutter contre ce système patriarcal assassin.

Au bout de quelque temps, tu n’en peux plus de cette colère, tu veux t’en débarrasser, tu veux oublier, t’échapper. Mais elle est toujours là, dans un coin, prête à bondir. Avec le temps, tu parviens à la couvrir d’autres émotions, tu as besoin de passer à autre chose, de recommencer à vivre. Je me coupe de tout ce qui est en rapport avec le féminisme : réseaux sociaux, lectures, discussions, associations. J’ai besoin de me redécouvrir en dehors de tout ça, de pouvoir parler à un homme sans avoir peur. De pouvoir oublier que derrière chacun se cache un agresseur potentiel.

Au 31 octobre 2019, cela fait un an que tu as déposé plainte. Une explosion d’émotions. Fierté du chemin parcouru, tristesse de savoir que de nombreuses femmes sont toujours violentées en raison de leur genre, dégoût en repensant à la manière dont la plainte fut traitée par la police, nervosité, et surtout colère. Une nouvelle colère, plus saine, franche, décidée, lucide. Cette colère, tu as décidé de la coller, pour fêter dignement cet anniversaire. Entourée d’amies, tu as déambulé dans Paris et hurlé des majuscules noires sur des feuilles blanches : « Stop féminicides », « Être une femme tue », « Elles nous manquent ». Cette colère, tu veux l’accepter, te l’approprier, la laisser vivre. Elle t’appartient et elle a sa place en toi. Cette colère, j’apprends à l’aimer, elle fait partie de moi.

 


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