C’est la rentrée littéraire et on sait bien qu’avec 560 romans parus en ce joli mois de septembre, il est impossible de se procurer toutes les œuvres recommandées par les grands pontes du bon goût culturel. Chez Deuxième Page non plus, on n’a pas franchement les moyens d’acheter des ouvrages hors de prix qui, bien que de qualité, s’adapteront davantage à nos bourses lors de leur sortie en format poche. Alors, fais chauffer – raisonnablement – ta carte bleue et découvre notre sélection de livres à moins de 15 € concoctée spécialement pour l’occasion !
Ainsi soit Olympe de Gouges, Benoîte Groult (Le Livre de Poche, 2014)
Martin Chambi, Amanda Hopkinson (Phaidon, 2001)
Peau noire, masques blancs, Frantz Fanon (Points, 2015)
Complaintes gitanes, Federico Garcia Lorca (Allia, 2003)
Ubik, Philip K. Dick (10/18, 1999)
Femmes en errance : De la survie à l’existence, Marie-Claire Vaneuville (Chronique sociale, 2004)
Lieu-dit l’éternité : Poèmes choisis, Emily Dickinson (Points, 2007)
Les Guerres Wess’har, tome 1 : La Cité de perle, Karen Traviss (Milady, 2004)
Les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire (Folio, 2015)
Le Secret de l’espérance, Geneviève de Gaulle Anthonioz (Fayard, 2001)
Ainsi soit Olympe de Gouges
Benoîte Groult
Le Livre de Poche, 2014
Prix : 6,10 €
Dans ce livre regroupant quelques-uns des textes les plus importants d’Olympe de Gouges, la féministe Benoîte Groult effectue un état des lieux de la condition féminine à travers les âges. Elle met en lumière une misogynie présente dès Pythagore, qui prendra de nouvelles formes plus tard, comme avec le code civil – promulgué par Napoléon. Elle revient également sur le manque de biographies de femmes historiques et met donc à l’honneur Olympe de Gouges qui, en 1791, a écrit la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Celle qui fut l’une des seules voix en faveur des femmes durant la Révolution française dénonçait le sexisme, la misogynie, le racisme et la non-égalité des sexes. Elle prônait aussi le droit de divorcer, et celui de se marier pour les prêtres. Au XVIIIe siècle, Olympe de Gouges dessinait déjà en France les prémices du féminisme intersectionnel, préconisant le croisement des luttes et leur lien indéniable. En 1793, Olympe de Gouges fut condamnée à l’échafaud pour avoir défendu « la liberté des opinions », « le plus précieux patrimoine des citoyens ». Mais les manuels scolaires ont vite fait d’invisibiliser les femmes ayant participé à l’évolution de nos sociétés. Benoîte Groult a corrigé le tir.
« Pâlissez vils délateurs, votre règne passe comme celui des tyrans. Apôtres de l’anarchie et des massacres, je vous ai dénoncés depuis longtemps à l’humanité : voilà ce que vous n’avez pu me pardonner. […] Frémissez, tyrans modernes ! ma voix se fera entendre du fond de mon sépulcre. Mon audace vous met à pis faire, c’est avec le courage et les armes de la probité que je vous demande compte de la tyrannie que vous exercez sur les vrais soutiens de la patrie. »
Défense d’Olympe de Gouges, face au Tribunal révolutionnaire, 1793
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Martin Chambi
Amanda Hopkinson
Phaidon, 2001
Prix : 4,95 €
Les photos de Martin Chambi provoquent la fascination. D’abord, pour le clair-obscur des plaques de verre, d’une photographie archaïque encore si dépendante de la captation première de la lumière. Ensuite, pour le patrimoine culturel de la civilisation inca. Martin Chambi est en effet le premier photographe amérindien à s’être fait connaître à l’international, et le premier à avoir posé un regard neuf sur son pays, le Pérou, ses populations et ses cultures au début du XXe siècle. Reflétant l’intimité d’une société marquée par le métissage colonial, les photographies de Martin Chambi mettent en lumière les sujets, les rites, les espoirs de reconnaissance. Portraits, scènes de la vie ou paysages des environs de Cuzco… cet élève d’Arequipa nous livre un Pérou sans fard, empreint d’un désir d’existence, dont cet ouvrage nous offre quelques extraits. Il est grand temps d’en faire l’acquisition.
« La passion que Martin Chambi porte à son art, à son peuple et à son pays le rend unique parmi ses pairs. […] Son histoire, transmise par voie orale, a l’étoffe et la grandeur d’un mythe. »
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Peau noire, masques blancs
Frantz Fanon
Points, 2015
Prix : 8,30 €
Auteur, psychiatre et militant, Frantz Fanon était un précurseur de la critique postcoloniale. Dans Peau noire, masques blancs, il part de son expérience d’Antillais en métropole pour étudier les ressorts psychologiques du « préjugé de couleur ». Il met à nu le racisme d’État qui somme les minorités à « se blanchir ou disparaître » et les réactions des Noir-e-s face à cette sommation. Si le nom de Frantz Fanon ne te dit pas grand-chose, c’est que l’on a longtemps relégué aux oubliettes ce penseur gênant. Son ouvrage le plus connu, Les Damnés de la Terre (1961), a pourtant inspiré de nombreuses personnalités, allant de l’intellectuel Edward Saïd aux rappeurs de La Rumeur. Il a mis en évidence le racisme institutionnel de la Ve République et la responsabilité de la France dans l’oppression des peuples colonisés. Il constate également que « le Noir n’est pas un homme. […] Le Noir est un homme noir ».
« Le Noir est un homme noir […]. Le problème est d’importance. Nous ne tendons à rien de moins qu’à libérer l’homme de couleur de lui-même. Nous irons très lentement, car il y a deux camps : le blanc et le noir. […] Pour nous, celui qui adore les nègres est aussi “malade” que celui qui les exècre. Inversement, le Noir qui veut blanchir sa race est aussi malheureux que celui qui prêche la haine du Blanc. Dans l’absolu, le Noir n’est pas plus aimable que le Tchèque, et véritablement il s’agit de lâcher l’homme. Il y a trois ans que ce livre aurait dû être écrit… Mais alors, les vérités nous brûlaient. Aujourd’hui, elles peuvent être dites sans fièvre. »
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Complaintes gitanes
Federico García Lorca
Allia, 2003
Prix : 6,20 €
Pour celles et ceux qui souhaiteraient prolonger leurs vacances au soleil, ce livre vous offre un aller simple pour l’Andalousie. Une invitation au voyage, de l’Alhambra de Grenade à l’Alcazar de Séville, en passant par la mosquée de Cordoue… Imagine-toi un air de flamenco, ta peau tannée par le soleil, un vent de Méditerranée, une architecture empreinte d’Orient, cet accent qui chante à chaque syllabe… Ajoutes-y une pointe de drame et tu obtiendras les Complaintes gitanes. Ce recueil, composé de sombres et courts poèmes, constitue une formidable initiation à l’Espagne traditionnelle, mais aussi à l’œuvre de Federico García Lorca. Écrivain et auteur dramatique parmi les plus célèbres du pays, il rend ici hommage au peuple gitan, qui est la quintessence du peuple andalou selon lui. Subtil mélange des saveurs, cet ouvrage est proposé dans une version bilingue, et la traduction française respecte fidèlement l’âme du recueil.
« Le soir fou de ses figuiers
et de ses chaleurs qui bruissent,
défaille sur les blessures
des cavaliers à la cuisse.
Et des anges noirs volaient
dans l’air du jour qui décline.
Des anges aux longues tresses
Et dont le cœur est fait d’huile. »
III Rixe
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Ubik
Philip K. Dick
10/18, 1999
Prix : 7,10 €
Ubik est absolu, tout et rien à la fois. Roman de science-fiction dense, apogée des univers de Philip K. Dick, il se trouve aussi être le produit qu’il vous faut. Dans une société futuriste qui voit s’affronter des firmes oligarchiques à coups d’individus psis ou anti-psis, les portes ont des droits, la mort n’est plus une limite et tout se monnaye, même Ubik (sorte de produit miracle, pouvant servir en toute occasion). Surtout Ubik. L’agonie – y compris de tes propres neurones – se dispute à la paranoïa à la lecture de ce livre, un récit à multiples niveaux où les réalités et le temps ne sont pas à sens unique. Mais réjouis-toi, Ubik peut t’aider pour tout, même la plus absurde des choses. Ce quasi MacGuffin aux slogans publicitaires sympathiquement ambigus veut ton bien, même dans un monde perdant des fragments de lui-même. Quant au doute sur sa simple existence, ou pertinence, il enveloppe le tout d’une épaisseur étrange. Ubik a le potentiel de changer une vie… s’il est utilisé selon le mode d’emploi, avec précaution.
« Tous nos soins médicaux […] sont gratuits. Mais c’est au patient qu’il incombe de faire la preuve de la réalité de sa maladie. »
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Femmes en errance : De la survie à l’existence
Marie-Claire Vaneuville
Chronique Sociale, 2004
Prix : 13,10 €
Paru il y a plus de dix ans, ce livre de Femmes SDF semble toujours autant d’actualité. Tout au long des pages, l’autrice – cofondatrice et ancienne directrice de l’association – y décrypte le combat de femmes « en souffrance, dont l’errance exprime la profonde difficulté à vivre ». Durant plusieurs années, l’organisation a mené une enquête à Grenoble pour tenter de comprendre, analyser et résoudre un problème persistant. L’autrice s’interroge sur l’errance féminine : existe-t-elle en tant que telle ? Oui, semble-t-il. Le conditionnement sociétal se manifeste partout, même dans les strates des institutions et des structures qui accueillent celles qui sont dépourvues de repères. Comme nous le rappelle très justement Marie-Claire Vaneuville, « l’errance n’est pas le sans-abrisme ». Ce que démontre cette recherche-action est que la réalité est bien plus complexe que nos présupposés. Le terrain est le seul lieu où les acteurs associatifs peuvent trouver et adapter des réponses à des problématiques difficiles. De ce livre est née une solution concrète : la création d’un accueil de jour, le Local des femmes.
« J’ai tellement de souffrance en moi, au bout d’un moment, ça remonte et je bois pour supporter… Autour de moi, dans les squats, dans les gares, j’ai vu trop de femmes souffrir comme moi… »
A…, 30 ans, Grenoble, quatorze ans d’errance
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Lieu-dit l’éternité : Poèmes choisis
Emily Dickinson
Points, 2007
Prix : 7,90 €
Lire un poème d’Emily Dickinson, c’est pénétrer son jardin secret : une rive embrumée cernée d’une verdure opulente, un paysage sauvage d’une intense beauté. Lire un poème d’Emily Dickinson, c’est découvrir les profondeurs de son être, hanté par le néant, obnubilé par la folie, l’amour et la mort. Lieu-dit l’éternité réunit plus de 150 de ses poèmes, intelligemment choisis, en version bilingue. Car la poésie dans sa langue originale prend toute sa force et son pouvoir. Ce recueil permet donc de s’initier à l’art de cette inimitable poétesse du XIXe siècle. Mélancolie, émerveillement, souffrance, dérision, fascination macabre… cet ouvrage explore les multiples facettes de l’autrice qui, bien qu’elle vivait à l’écart de la société, en dépeignait mieux que quiconque ses vicissitudes. Âmes sensibles, ne pas s’abstenir. L’un des principaux talents d’Emily Dickinson était de déceler en chaque douleur une intense beauté. Si ces poèmes sont empreints de son tourment, ils sont écrits avec une telle authenticité qu’ils nous rappellent combien il est important de savoir accueillir tous les états d’âmes, même les plus déchirants.
« I like a look of agony / Because i know it’s true / Men do not shame convulsion / Nor simulate a throe. »
« J’aime un regard d’Agonie / Car je sais qu’il est vrai / Les hommes ne simulent pas la convulsion / Ne miment pas les affres. »
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Les Guerres Wess’har, tome 1 : La Cité de perle
Karen Traviss
Milady, 2004
Prix : 7 €
Que ferais-tu si ton repas ou ton spécimen de labo se révélait être conscient et intelligent, avoir une famille, un langage ainsi qu’une culture lumineuse et tentaculaire ? Lequel est légitime entre un peuple prêt à éradiquer une civilisation qui détruit un écosystème planétaire, et ladite civilisation, qui veut garder sa liberté d’agir, même mal (et accessoirement vivre) ? Peut-on contraindre à faire le bien et, le cas échéant, peut-on être heureux-se et libres malgré la coercition ? Autant d’interrogations que Karen Traviss pose à son expédition scientifico-militariste, paumée près de l’unique colonie humaine. Et plutôt d’une belle manière pour un premier tome, certes imparfait, mais qui a l’indéniable mérite de proposer des questions ardues, radicales et clivantes. Ses développements nuancés voguent entre écologie profonde, sciences, information, féminismes et éthiques. Autant d’enjeux majeurs traités avec une clarté et une justesse qui ne peuvent que faire réexaminer le trop familier, ciller du côté du réel.
« Les humains vivent dans leur tête, et non dans le monde. C’est pour cela qu’ils ne peuvent jamais respecter les formes de vie qui ne leur ressemblent pas. »
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Les Fleurs du Mal
Charles Baudelaire
Folio, 2015
Prix : 3 €
Intemporel, d’une douloureuse justesse, Les Fleurs du Mal est un classique à consommer sans modération. Dans cette œuvre phare de la poésie moderne, Charles Baudelaire explore l’humain : sa conscience, sa perversité, son idéal, et surtout sa difficulté d’être. Un livre qui parle de la vie donc, et du monde dans sa mouvance et sa grande complexité. Lors de sa parution en 1857, le recueil était divisé en cinq sections : « Spleen et Idéal », « Le Vin », « Fleurs du Mal », « Révolte » et « La Mort ». Le spleen, ce vague à l’âme si caractéristique de Baudelaire, constitue le ciment de cet ouvrage. Une douleur latente, insidieuse, qu’il nous est tou-te-s arrivé de connaître et qui, lorsqu’elle est décrite par la plume d’un-e autre, en deviendrait presque réconfortante. En plus des 126 poèmes de Baudelaire, cette édition comprend des textes pour la plupart condamnés ou inédits, des poésies de jeunesse, ainsi que des éclaircissements sur ses écrits. Une immersion complète dans l’antre d’un auteur de génie.
« J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans.
Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,
De vers, de billets doux, de procès, de romances,
Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,
Cache moins de secrets que mon triste cerveau.
C’est une pyramide, un immense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse commune. »
Extrait de « Spleen II »
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Le Secret de l’espérance
Geneviève de Gaulle Anthonioz
Fayard, 2001
Prix : 5 €
Geneviève de Gaulle Anthonioz était une femme admirable. Survivante du camp de Ravensbrück où elle a été déportée en 1944, elle a tout au long de sa vie lutté pour les plus pauvres, pour l’égalité entre toutes et tous. Dans ce livre, elle narre son parcours au sein d’ATD Quart Monde, de 1958 à 1998. Elle raconte son expérience aux côtés du père Joseph Wresinski, fondateur de cette association visant à aider les habitants du bidonville de Noisy-le-Grand. Ce camp de relogement a été déterminant dans l’engagement de Geneviève de Gaulle Anthonioz contre l’extrême pauvreté. Elle décrit son combat pour donner à ces gens les mêmes droits qu’aux autres, le refus et le déni manifestés par les institutions, l’engagement des humanitaires, l’importance de la parole des concerné-e-s et de l’accès à la culture pour tout un-e chacun-e. « La révolution commence par moi-même », écrit-elle. Notre pays doit beaucoup à cette ancienne résistante, nièce de Charles de Gaulle : après dix ans de lutte pour la loi d’orientation relative à la lutte contre l’exclusion, rappelant « l’égale dignité de tous les êtres humains », elle est finalement votée en 1998. Celle-ci a engendré des « avancées importantes concernant plusieurs droits fondamentaux : le logement, la vie familiale, la justice et la santé (couverture maladie universelle) ». Depuis 2015, elle est l’une des rares femmes panthéonisées.
« Pour moi, la toile de fond reste toujours les crimes contre l’humanité. Où commence le refus conscient, organisé, de l’égale dignité de chaque personne ? »
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Image de une : How I Spend Money. © Sarah Andersen