La deuxième pièce de théâtre de Cléo Dangoin, Trois, réunit un trio de jeunes acteurs autour du thème du sentiment amoureux, questionnant les normes du mariage. Ensemble, ils forment un « trouple », un couple à trois qui s’isole du reste du monde et se revendique comme une utopie à part. Nous sommes allé-e-s à la rencontre de cette histoire d’amour pas comme les autres…
C’est l’histoire d’un couple à trois : Lise (Margaux Frichet), Adam (Thierry Garnier) et Paul (Romain Valembois). Écrite et mise en scène par Cléo Dangoin (assistée de Noémie Briand), Trois a d’abord été conçue comme une pièce d’appartement, avant d’être jouée au Théâtre de la Jonquière (dans le 17e arrondissement, à Paris), où nous sommes allé-e-s la voir dernièrement. Issue d’une longue gestation, elle aborde le sujet des sentiments amoureux et la difficulté de les exprimer, de les partager, de les clarifier.
L’entrée en scène sur le plateau presque vide, accompagnée de la musique du chanteur Zacharie – faite sur mesure pour le spectacle – est d’une grâce enchanteresse. Les acteurs et l’actrice dansent, seul-e ou à plusieurs, dans un élan de douceur que l’on pourrait voir durer toujours. On pense à Pina Bausch pour son exotisme quotidien et son goût des couleurs (Água, Le Laveur de vitres…), que nous rappellent les costumes de la pièce aux motifs vert et orange, spécialement créés par la jeune Florence Domenger.
Ils sont trois. Ils sont beaux. Ils sont heureux.
L’humour comme arme d’amour
Le caractère insolite de cette union est exposé avec humour et légèreté, et est pris sous l’angle du quotidien : le rapport aux tâches ménagères, les différences qui existent entre chaque élément du trio, les liens avec leurs parents… Et notamment ceux de Lise, qui ne comprendraient sans doute pas qu’elle a deux hommes dans sa vie, lesquels sont aussi amants l’un de l’autre.
Surgit alors la question de la façon dont les liaisons à trois sont perçues dans l’imaginaire collectif, selon qu’il s’agisse d’un homme et de deux femmes ou d’une femme et de deux hommes. La première situation est directement pensée comme un harem, tandis que si la relation concerne deux hommes, leur bisexualité est immédiatement montrée du doigt. Avec son titre, « L’Harmonie », la première partie de la pièce dépasse avec intelligence cette idée. Ici, pas de préconceptions.
Pour autant, sur la durée, Trois laisse en suspend des questionnements qui découlent logiquement de la mise en scène de ce trio amoureux, comme s’il n’était pas à même d’y répondre. Laissant aux spectatrices et spectateurs le soin de tirer leurs conclusions.
Une utopie brisée sans catharsis
En effet, durant la deuxième partie, le doute s’installe. L’un des trois protagonistes, Paul, décide de se laisser tenter par le dehors. Il prend rendez-vous avec Charlie, son ancienne petite amie. Progressivement, Paul va ainsi être aspiré vers l’extérieur, et le trouple va définitivement voler en éclats dans la troisième partie.
On bascule alors de la comédie légère au drame discret, où les choses se disent à moitié. Les mots sont posés, défaitistes. Rien n’explose littéralement, comme étouffé dans une masse aqueuse. On ressort de là avec le regret de n’avoir pu exorciser avec eux et elle cet idéal perdu. Pas de catharsis. Pas de réelle résolution (ni de révolution). Un vide.
La transgression est un cycle infini
Ce vide que l’on ressent apparaît comme le véritable liant du spectacle. C’est une ronde. Du moins, une sorte de ronde. Le ménage à trois des protagonistes forme une relation triangulaire, où l’absence de binôme renforce l’omniprésence d’un vide. Le vide au centre du triangle, au centre du cercle, au cœur d’un mariage impossible. Il est impossible de se « marier à trois » sans être forcé-e-s à la clandestinité. Il est impossible de s’isoler avec l’autre – l’autre exclusif –, et dès lors, il est impossible d’être vraiment seul-e, vraiment « un-e », puisque la vie en couple se transforme en vie en communauté.
Or, dans cette dernière, l’affirmation d’une individualité crée une forme d’isolement à laquelle le groupe peut ne pas être capable de répondre. On comprend alors qu’il ne s’agit pas d’une question de nombre mais d’individualités. Comment (co)exister avec l’autre ? Avec les autres ? Il semblerait qu’ici, soit l’individu-e s’aliène au groupe, soit le groupe implose. L’individu-e qui s’affirme se retrouve extrait-e de la communauté précédemment formée, laquelle ne se trouve pas nécessairement en mesure de l’accompagner. La force de la ronde qui s’accélère devient force centrifuge.
La pièce nous laisse avec la sensation d’être l’un des sommets du triangle, isolé des deux autres. Une sensation d’incomplétude ou de forme inachevée, d’une rupture amère certes, mais qui donne envie de recommencer soi-même l’histoire et de, peut-être, lui trouver une autre fin.
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