Jouant avec la confiance du public, ce premier film signé Sébastien Marnier débute comme une fable sociale et nous emporte vers un thriller psychologique haletant.
Premières scènes. Une femme élégante prend sa douche dans un appartement luxueux parisien et range ses affaires dans un sac Chanel. Mais le sac est en carton, et cette femme se fait éjecter de la résidence dans laquelle elle n’est pas censée se trouver. Un préambule qui annonce la couleur : Irréprochable est conçu comme un jeu avec les spectateurs-rices, dont les ficelles sont tirées par Constance (Marina Foïs), le personnage principal. L’élégante agente immobilière ne tardera pas à se révéler au paroxysme de l’inconstance, et pas si irréprochable que l’intitulé du film ne l’insinue.
Un personnage complexe
Pour son tout premier long-métrage, Sébastien Marnier saute avec brio de son costume habituel d’écrivain à celui de réalisateur. Auteur de trois romans, il porte à l’écran son habileté pour mener le public là où il le souhaite, mais aussi pour donner vie à des personnages extrêmement complexes. Constance a perdu son emploi à Paris. La crise, le harcèlement sexuel de son ancien patron… difficile d’en connaître la cause réelle. Lorsqu’elle apprend qu’un poste s’est libéré dans sa ville d’origine, chez son ex-employeur, elle décide de sauter dans un train. Mais sur place, malaise : personne ne semble se réjouir de son retour, et surtout pas son ancien employeur, qui lui préfère Audrey (Joséphine Japy), fraîchement diplômée. À pas de loup, Constance va se rapprocher de cette rivale, pour devenir une amie… irréprochable.
Du début à la fin d’Irréprochable, le réalisateur se joue de nos attentes et entretient un malaise latent. Cette atmosphère pesante semble prédire une catastrophe, dont on ne sait si elle aura lieu. Difficile pour les spectatrices et spectateurs de cerner Constance : victime (du marché du travail, du sexisme, etc.) ou criminelle ? Ombre menaçante ou femme paumée ? On se perd dans certains détails et comportements qui ne « collent » pas et ficellent le thriller : quelle est la nature de sa relation avec sa mère malade ? Pourquoi semble-t-elle ne pas avoir que des ami-e-s ?
Renvoyé-e-s à notre propre folie
L’héroïne prend les traits d’une prédatrice : elle surgit sans cesse par surprise et, grâce aux nombreuses prises de vue subjectives du film, nous rend complices de ses espionnages. Dans ce thriller, on le comprend vite, la personnalité trouble et fulgurante de Constance, incarnée par une Marina Foïs dont le jeu relève de la performance, compte bien plus que le scénario. Elle est le film, elle dont la personnalité est indéchiffrable : séductrice, hyperactive, manipulatrice, persécutée, minable.
Dans son égarement grandissant, rythmé par les exercices physiques effrénés qu’elle réalise tout au long de ses journées de chômeuse, Constance nous attrape et nous met face à notre propre folie. Voici pourquoi il est si difficile d’éprouver un peu d’empathie pour cette femme, que nous impose avec ingéniosité le réalisateur.
Un thriller provincial
Apôtre assumé de David Robert Mitchell, Bennett Miller et Gus Van Sant, Sebastien Marnier a sans conteste également emprunté à la nouvelle vague pour ce thriller psychologique – un héros ou une héroïne à première vue ordinaire mis-e en exergue, des scènes tournées en pleine nature, ou encore des lumières saturées –, et plus particulièrement au « polar provincial » de Claude Chabrol. La ville natale de Constance est tout un symbole. À traits exagérés, Marnier dépeint un portrait absurde de la province fuie et honnie : bowling clinquant, pavillons ternis, tout y est. L’héroïne débarquant littéralement déguisée en bourgeoise (fausse) blonde parisienne, troque rapidement cette tenue guindée contre ses nippes démodées d’adolescente. Des racines noires réapparaissent sous sa teinture blonde, tandis que s’installe un désir compulsif de destruction. La puissante bande originale signée par le groupe électro français Zombie Zombie monte en intensité, renforce notre sentiment d’inquiétude et accompagne les gestes d’un personnage félin dont la force semble sans limites.
Même si Constance est un personnage déboussolant, même si de nombreux détails scénaristiques ne seront compris que plus tard, la réalisation parvient à garder le cap et à ne pas s’éparpiller. Une composition symétrique et la répétition de scènes très méticuleuses se rejoignent dans une esthétique presque documentaire qui nous permet de suivre sa ligne directrice : le personnage principal. Et comme une rengaine autour de celui-ci apparaît Constance, enchaînant des heures inhumaines d’exercice physique.
Le jeune réalisateur, de son propre aveu, souhaitait mettre en scène une héroïne sociopathe : une femme dont la folie est aussi le résultat d’un déséquilibre global. Ce n’est donc pas par hasard si le long-métrage est criblé de détails réalistes (les logiques impitoyables du marché du travail, etc.) et de tromperies d’hommes (Benjamin Biolay, Jérémie Elkaïm, ou encore la figure de l’ancien patron harceleur). Le portrait de Constance renvoie sans nul doute à celui d’une société malade conduisant irrévocablement l’individu-e à sa perte.