Jusqu’au 23 juillet, le Plateau du Fonds régional d’art contemporain (FRAC), à Paris, accueille l’exposition « Sous les nuages de ses paupières » consacrée à Kaye Donachie. En présentant une série de portraits féminins, ponctués de natures mortes, elle donne une perspective narrative aux mouvements réformistes du XXe siècle. Ses peintures vaporeuses constituent un parcours énigmatique retraçant l’effervescence de cette période.
L’artiste écossaise Kaye Donachie s’est fait connaître il y a une dizaine d’années en représentant la communauté hippie radicale des années 1960. Elle a ensuite développé un intérêt prononcé pour les mouvements émancipateurs. En investissant l’espace du Plateau, elle ressuscite les figures emblématiques de l’art moderne, qui se dévoilent comme des halos mystérieux. Le tout est accompagné d’une sélection de photographies de Florence Henri, Claude Cahun, Lee Miller et Josette Exandier, ainsi que d’un film expérimental de James Broughton. Spectatrices et spectateurs sont alors pris dans le tourbillon d’un voyage onirique où tout converge… à la rencontre des fantômes du passé.
Une célébration des femmes artistes
La première chose que l’on remarque en parcourant l’exposition, c’est l’omniprésence des portraits de femmes. S’il s’agit souvent d’artistes, à l’instar de la danseuse Isadora Duncan, de la peintre Georgia O’Keeffe ou de la photographe Lee Miller, on retrouve également des égéries comme Nusch Éluard. Toutes partagent en tout cas une vision avant-gardiste de l’art.
Par l’intermédiaire du portrait, Kaye Donachie en fait des incarnations du mode de pensée réformiste, tout en les exposant en véritables héroïnes. Si le nu est autant présent, notamment à travers les photographies de Florence Henri, il s’émancipe néanmoins complètement du regard masculin. Au fil de l’exposition, l’artiste amorce un questionnement sur la représentation du genre féminin. Elle prend ainsi le parti de libérer les femmes de leur statut de muses, et les montre en tant qu’actrices à part entière de la révolution artistique.
Quand paysage et portrait se confondent
Les lieux ont beaucoup d’importance dans l’œuvre de Kaye Donachie, car la plupart d’entre eux sont emblématiques de l’avant-garde. La colline suisse de Monte Verità, berceau utopiste du début du XXe siècle, et la French Riviera transparaissent comme des leitmotive au cours de l’exposition. Au-delà du simple arrière-plan, le cadre ne fait qu’un avec le personnage. C’est particulièrement visible dans A World in Your Image, où les traits de Nusch Éluard fusionnent avec le paysage maritime de la French Riviera. La jeune femme est comme une chimère, ancrée à jamais dans les lieux.
De manière générale, l’atmosphère psychédélique qui émane des toiles ne fait qu’accentuer cette impression, que ce soit par les camaïeux pastel, les superpositions de sujets ou les jeux de lumière. Les plans se floutent et forment un ensemble brumeux teinté de spleen, où la silhouette fait corps avec son environnement.
Un crescendo chromatique
Kaye Donachie a aménagé les cinq salles de l’exposition selon un cheminement bien déterminé, évoluant de la pénombre à la clarté. L’obscurité envahit complètement les deux premières pièces. Le paysage nocturne de James Broughton dans High Kukus (1973) accentue d’autant plus cette ambiance intimiste. Dans les deux salles suivantes, l’atmosphère s’éclaircit : les silhouettes se floutent, les nuances s’adoucissent, et la nature prend davantage de place. Avec la série de cyanotypes, la flore laisse son empreinte et forme ainsi son propre portrait.
La dernière salle est la plus lumineuse. On y découvre une pièce immaculée, où la blancheur des murs fait resplendir les tableaux. Le thème du reflet prédomine, notamment à travers l’horizon de la French Riviera. C’est la fin d’un délicieux périple dont l’on émerge lentement, le réveil est sans heurt.
En immortalisant ces icônes d’avant-garde, Kaye Donachie en fait le support d’une réflexion globale sur l’art. Ici, tout converge : l’artiste devient partie intégrante de son environnement, et la création est perçue comme le fruit de cette fusion. Paysages, silhouettes et formes abstraites investissent le présent tels des spectres nébuleux. Les visiteurs et visiteuses ressortent de ce voyage l’esprit rêveur, accompagné d’agréables réminiscences d’un autre temps.
Exposition « Sous les nuages de ses paupières » de Kaye Donachie, jusqu’au 23 juillet 2017, au Plateau du FRAC (22 rue des Alouettes, 75019 Paris)
Entrée libre. Ouvert du mercredi au dimanche, de 14 heures à 19 heures.
Nocturne (plateau-apéro) chaque 1er mercredi du mois, jusqu’à 21 heures.
Image de une : Kaye Donachie, Against the Mass of Night, 2013. © Courtesy of the artist and Maureen Paley