Il y a quelques années, les réalisateurs Jérôme Fritel et Marc Roche s’étaient penchés sur les manœuvres de Goldman Sachs en signant un documentaire édifiant sur les liens entre États et banques, Goldman Sachs : La Banque qui dirige le monde. Avec Les Gangsters de la finance, ils nous livrent cette fois-ci un objet cinématographique encore plus noir sur HSBC. Ça se regarde comme un thriller qui serre la gorge et ça réveille nos angoisses de fin du monde.

 

La crise financière de 2008, c’était il y a dix ans déjà. Le système bancaire mondial ne semble pourtant pas avoir appris de ses erreurs et continue de faire fi du droit, des régulations et de toute forme de morale. Un système financier qui tire sur la corde, qui tire aussi fort qu’il peut sur les cordes d’un capitalisme à bout de souffle. Les Gangsters de la finance met en lumière l’avalanche d’abus dans lesquels s’est perdue la banque HSBC et l’impunité totale dont jouit cette structure alimentée par d’obscurs capitaux.

Dans un premier temps, le documentaire nous montre comment ses origines expliquent cet état d’esprit mafieux qui parasite encore aujourd’hui toutes les sphères de HSBC. L’histoire dit beaucoup de choses, c’est important de s’y référer encore et toujours. À la fin du XIXe siècle, Hong Kong était connue pour être le repaire de la piraterie mondiale. Les Anglo-Saxons s’adonnaient au très lucratif trafic d’opium. Après quelques batailles et déboires, l’empereur de Chine cède la possession de Hong Kong à l’Angleterre pour 99 ans. Pour faire prospérer commerce et menus échanges, les colons ont besoin d’une banque : la Hong-Kong and Shanghai Banking Corporation voit le jour. Et qui siège au conseil d’administration ? Les plus gros trafiquants d’opium de la ville. Les fondements de la banque reposent donc sur un socle très hasardeux de crapules qui se sont enrichies illégalement.

Les Gangsters de la finance nous emmène ensuite encore plus loin dans les excès, les abus et l’irresponsabilité des dirigeant-e-s de la banque. Plus les années passent, et plus les scandales donnent la nausée. HSBC est la meilleure blanchisseuse d’argent sur le marché. N’importe quel argent peut y rentrer, celui des trafiquants (quelque part, les héritiers de ses fondateurs), des mafieux, et bien entendu, celui des riches, des très riches, des très très riches. Il ne s’agit pas de spoiler tout le documentaire, car plus le film avance, plus les informations se font écœurantes, mais il est intéressant de citer au moins l’un des « fabuleux » coups d’éclat de la banque. Pendant une décennie, des membres de cartels mexicains et colombiens sont venus déposer du cash − souvent quelques milliers de dollars, parfois quelques dizaines de milliers − dans les agences HSBC américaines. Pendant dix ans, ces scènes se sont répétées des centaines de fois avec un systématisme effarant. Bien sûr, les autorités mexicaines et américaines ont lancé l’alerte, mais les dirigeant-e-s de HSBC l’ont tout simplement ignorée. Au total, près d’un milliard de dollars aurait transité dans les agences américaines. Les responsables de la banque ont tout de même fini par être auditionnée-e-s devant le Sénat en 2012. Mais cette audition, véritable mascarade, reste une honte. Le ministre britannique des Finances et du Trésor de l’époque, George Osborne, était alors intervenu avec ce discours (paraphrasons) : « Si HSBC tombe, la City tombe, et si la City tombe… eh bah, c’est la merde. » Résultat des courses : une coquette amende de 2 milliards de dollars, mais très loin d’ébranler quoi que ce soit, a été infligée à la banque.

D’autres faits montrent que celle-ci jouit d’une impunité totale, qu’elle ne craint rien ni personne, et encore moins les États. Elle vit au-dessus des lois, mais sa tête n’est pas mise à prix, bien au contraire. Sa tête est choyée, préservée, dorlotée. Au-delà du fait que HSBC n’a jamais été condamnée pour ses agissements et son mépris total des lois, c’est l’immoralité de ses dirigeant-e-s que les réalisateurs mettent en avant. Son ex-directeur Stuart Gulliver (il a quitté ses fonctions en février 2018) recevait en effet ses bonus, que l’on imagine substantiels, sur un compte en Suisse géré par une société fantôme au Panama. Et comme si ce n’en était pas assez pour dégoûter les trois quarts de l’humanité, on apprend également qu’il était exonéré d’impôts en Grande-Bretagne, car officiellement résident de Hong Kong, alors qu’il habitait avec sa famille à Londres. Et l’homme osait dire qu’il les payait. Le scandale SwissLeaks a fini de confirmer l’obscénité des agissements de HSBC.

La banque avait mis en œuvre tout son professionnalisme pour produire des documents permettant à des chefs d’État et dictateurs, des artistes, des businessmen de garder leur argent bien au chaud dans des sociétés-écrans fournies « clé en main ». Comment est-il possible, après toutes ces abjectes inepties, que HSBC soit encore debout et que sa sphère d’influence continue de croître de manière totalement indécente ? Comment se fait-il qu’après la crise financière de 2008, les États continuent de protéger ce système dévastateur ? Qu’ils échouent à condamner une banque qui a violé les lois (qu’eux-mêmes ont mises en place) dans de telles proportions ? Les risques sont pourtant grands. Ce laxisme judiciaire va finir par faire gonfler un mécontentement populaire, pour le moment minime.

L’histoire a montré plus d’une fois que ce sont les révolutions sociales qui ont entraîné les bouleversements politiques et économiques majeurs. À terme, des mouvements contestataires (tels Occupy Wall Street ou Nuit debout) pourraient se transformer en véritables armes contre les gouvernements. Il y a un péril réel quant aux conséquences de ces agissements odieux, lesquels sont rendus possibles par la complicité plus ou moins silencieuse des institutions. Mécontenter les populations pour protéger l’économie alors que celles-ci sont impactées directement ne peut être de bon augure. Et les situations politiques actuelles, comme la montée de l’extrême droite partout à travers le monde, tendent à le confirmer.

 


Les Gangsters de la finance, réalisé par Jérôme Fritel et Marc Roche, est disponible sur le replay d’ARTE jusqu’au 16 novembre 2018.