D’ordinaire, lorsqu’une série laisse présupposer contenir quelques gemmes de grande qualité, des articles fleurissent… Or, The 100 a défié toutes les probabilités, dont le handicap non négligeable de son propre budget, pour aboutir à un résultat plus que bluffant. Et non… ce n’est pas une « série pour ados ».
[Cette analyse concerne les saisons 1 et 2 de The 100. Elle contient des spoilers.]
Série de SF surfant sur un vent de science-réalité post-apocalyptique, The 100 est tout d’abord un concept original. Même si les séries sont moins promptes à reprendre des licences existantes – avec de vrais morceaux de super-héros dedans – il est facile de relever que celles qui marchent et marquent sont en général le fruit d’un laboratoire menant des expériences un poil plus risquées que, au hasard, Hollywood par exemple.
Orange is the New Black, I Zombie, Orphan Black, Sense8 ou encore The 100, précisément, sont autant de scénarios non seulement inédits, mais qui plus est de qualité et, surtout, discutant pertinemment de relations humaines. Quel que soit le nombre d’explosions, d’affrontements ou de trahisons, ce qu’ont en commun ces projets apparemment diamétralement opposés se révèle être des questionnements socioculturels forts, ancrés dans leur époque. Des questionnements contemporains, non discriminatoires et attendus au vu des succès rencontrés. Embarquant dans le même temps des personnages bien écrits et bien incarnés, ils ne peuvent que remporter l’adhésion de nombreux publics tout en rendant l’ensemble crédible.
Une surprise inattendue
Au cœur de ce maelström de bonnes idées, The 100 se révèle être la série la plus ambitieuse d’un cercle encore assez restreint. La danse au sein de ce cercle est menée par les géants du milieu : Netflix en tête, la BBC ou encore ABC et HBO sont autant de mastodontes scrutés à la loupe et dont on attend des succès de taille. Alors, lorsque la chaîne historique The CW annonce The 100, les attentes sont mitigées. Certes, le groupe a produit des programmes majeurs et aimés tels que Veronica Mars, One Tree Hill, Smallville, Supernatural, ou Vampire Diaries, mais il a aussi su prendre un tournant plus actuel avec Nikita, The Arrow et The Flash sans compter I Zombie. Pour autant, il était plus connu pour ses séries collégiales adolescentes misant sur des sentiments dégoulinants plutôt que pour la qualité de ses intrigues. D’où la révélation que représente cette dernière addition à leur catalogue.
Si fouiller les psychologies de personnages plus ou moins réussis faisait partie du CV de The CW, c’était souvent pour savoir pourquoi « aimer-ça-fait-mal » et « qu’allons-nous-faire-de-nos-carrières-si-tu-es-enceinte ». Autant dire qu’avec The 100, la check-list était a priori complète. Ceux et celles qualifiant cette série comme étant « pour adolescent-e-s » ont finalement eu le malheur de ne se contenter que des quatre premiers épisodes (les auteurs-rices ont été changé-e-s par la suite). Erreur fatale, puisque la nouvelle direction prise, bien plus sombre, fait de la série une production singulière, bien loin de ces a priori. Ainsi, plongeons dans ce puits avec eux et elles pour brûler quelques neurones autour des dynamiques vertigineuses de The 100.
D’une intrigue classique, à une richesse indéniable
L’intrigue de base est assez classique : une guerre nucléaire advient et ravage la planète, forçant les quelques survivant-e-s à se réfugier dans l’espace. En l’occurrence, les différentes stations spatiales ont été assemblées pour former l’Arche et permettre à l’humanité d’attendre cent ans que la surface soit de nouveau habitable. Ce qui l’est moins, ce sont ces cent adolescent-e-s, criminel-le-s de l’Arche, mais parfois seulement du fait de leur naissance, envoyé-e-s en catastrophe trois années trop tôt pour « prendre la température » au sol. Chair à canon servant de cobayes à des dirigeant-e-s voulant sauver le plus grand nombre, ils et elles sont aussi sacrifiables selon l’éthique tordue ayant cours sur l’Arche.
S’en suit une triple intrication : survivre et gérer une société d’adolescent-e-s, parfois meurtriers-ères, au sol ; survivre et gérer une société aux règles discutables sur l’Arche ; ainsi que la relation entre ces deux pôles, qu’ils soient en contact ou non. Sans compter les éventuelles autres rencontres que les cent ne manqueront pas de faire sur Terre.
Sur cette toile de fond déjà chargée, interrogeant ce qui forme une société, se débattent des personnages bien construits et usant souvent mieux de leur tête que le protagoniste de film d’horreur moyen. S’accorder sur quelles valeurs ou ordres se doivent d’être défendus, sur comment construire une société en ne partant de rien et constater qu’en effet, l’anarchie pure n’a rien d’idéal : toutes ces choses qui nous semblent évidentes sont reprises et rediscutées, parfois physiquement débattues.
Quelle morale, quelle éthique, pour qui, contre qui et à quel prix sont autant de questions transposables au quotidien que les conditions extrêmes qu’ils connaissent ne font qu’exacerber. Ces choix difficiles, voire impossibles, auxquels nous ne serons probablement jamais confronté-e-s ont pour but évident de renvoyer à des soucis bien plus triviaux, mais surtout au rôle essentiel de la relation à l’autre avec idéalement une compassion que les personnages ne cessent de chercher. À chaque choix sa question de vie ou de mort, de bien ou de mal, d’un contrat moral ne servant pas seulement à éviter de se faire étriper, mais aussi à fonctionner en harmonie avec soi-même ou celles et ceux qui nous entourent.
Plus que cela, forts d’une écriture riche, les personnages font constamment l’impasse sur des catégories telles que le genre ou l’ethnie. Elles n’importent absolument pas dans ce monde de survie et de nécessité. Ainsi, dans The 100, personne n’est jugé ou estimé apte à quelque chose selon sa couleur de peau ou une physiologie spécifique, mais par ses actes et décisions. Tou-te-s peuvent être en position de pouvoir et les relations, même intimes, font peu de cas de ce type de barrières. Lorsque des stéréotypes font surface et évoquent le fait que l’on soit « né comme/pour cela » ou que quelque chose ne peut être dépassé, car inné, c’est pour se voir mis en pièces quelques épisodes plus tard.
La seule classification qui subsiste ici est au final celle de « notre peuple ». Ce mantra que l’on ne cesse d’entendre tout du long d’un « nous devons sauver les nôtres », ou encore d’une différence « les autres et nous » marque une sorte de déterminisme et d’appartenance de naissance. Quand bien même la série connaîtra une saison supplémentaire, il est déjà possible de constater que son ambition est de souligner ce sentiment d’appartenance à une communauté qui se doit d’être défendue. Mais elle ne doit pas l’être au prix de sa propre humanité, ni à l’encontre d’une ouverture à l’autre et d’une abnégation à laquelle les personnages seront souvent aveugles ou, à l’inverse, dont ils souffriront.
Si ce communautarisme peut paraître négatif et pousser chacun-e à s’en tenir aux « sien-ne-s », l’insistance sur une oscillation entre le bien de son groupe et ne pas devenir un monstre est plus que forte. Aussi, si certain-e-s se sacrifient pour les leurs uniquement, il reste que d’autres se sacrifient pour des inconnu-e-s, pour tou-te-s et se faisant vieillissent probablement plus vite que prévu.
La série idéale ?
Cela étant, tout n’est pas parfait. On continue à râler contre la bêtise de certaines décisions et les différents groupes de The 100 ressemblent à s’y méprendre à des enfants dans une cour de récréation. Au fur et à mesure et comme dans le monde réel, la plupart ne savent plus qui a commencé la bagarre, à qui la faute et tou-te-s refusent d’assumer, de faire un pas vers l’autre et finir tout cela. Des tentatives vont dans ce sens, mais toujours avec une certaine réserve et des erreurs finissant par conduire à une impasse. Un peu comme s’il y avait toujours un boulet pour ruiner la situation… comme dans le monde réel en somme.
Et pourtant, bon an mal an, les choses progressent à force d’obstination, souvent celle de Clarke (Eliza Taylor-Cotter). Celles et ceux qui n’étaient que des étrangers-ères apprennent à se connaître, respectent la culture et les mœurs des autres voire les adoptent. Le plus essentiel étant la construction complexe de chaque individu. Les protagonistes que l’on déteste d’entrée de jeu parce qu’ils font tout pour être détestables sauront éventuellement montrer d’autres aspects ou changer. À l’inverse, ceux que l’on adorait nous plantent un couteau dans la cuisse et tournent la lame trois fois dans la plaie. Rien n’est véritablement certain et chacun-e essaie surtout de se trouver un but et une place tout en apprenant ou non de ses erreurs. Loin d’un monde manichéen comme on en voit trop sur grand et petit écran, tout est question de nuances dans The 100 et l’importance des décisions à prendre te saisira aux tripes.
Enfin, last but not least, les croyances, la religion, la santé mentale et tout ce qui constitue un individu ou sa quête d’une raison d’être, d’un équilibre, est aussi contenu dans ces deux minuscules saisons incroyablement denses et intenses. Le tout, sans jamais sonner comme une prédication ou prendre un ton moralisateur, gardant une vision bienveillante, mais la plus neutre possible de ces choix ne l’étant pas.
Il est souvent dit que l’humain ne réagit et ne change les choses qu’une fois les catastrophes sur le pas de sa porte. Et bien The 100 se propose de déposer toutes les catastrophes possibles sur le pas de ton écran. Amitié, amour, addiction, loyauté, filiation, gouvernement, dictature, esclavage, trafic humain, violence, trahison, maladie, croyance et guerre : tout cela est projeté à une vitesse incroyable sur le chemin de personnages qui vont en baver, et toi avec. Presque à hauteur d’un Game of Thrones en nombre de mort-e-s, The 100 réussit le tour de force de se hisser au-delà de ce poids lourd en matière de réflexion. D’ailleurs, quitte à bientôt nous retrouver véritablement sur une Arche, autant y réfléchir un peu à l’avance puisque si l’on échoue à l’échelle planétaire, il vaudra mieux être préparé-e-s à vivre les un-e-s sur les autres dans quelques mètres carrés (Ô joie).