Le génial dessinateur Riad Sattouf met en scène la vie rêvée et réelle d’une fillette de 10 ans. De pages en bulles, Esther se confie sur ses parents, son « nullos » de frère, sa meilleure amie « trop riche », les garçons « trop cons », son école privée et même l’actualité. Un regard de préado sans concession sur son monde et par la même occasion, le monde d’aujourd’hui.
Publiés chaque semaine à la dernière page de L’Obs, Les Cahiers d’Esther : histoires de mes 10 ans ont été rassemblés en un album de BD, publié en janvier dernier. Chaque page est une saynète de la vie de cette petite fille que Riad Sattouf connaît bien. Esther A. existe pour de vrai et même si son nom a été changé, sa vie n’en demeure pas moins un captivant reflet de la jeunesse contemporaine. Elle adore la chanteuse Tal et trouve Maître Gims trop beau. Elle déteste les garçons, surtout Maxime, un fils à papa qui se prend pour le roi de la récré et s’amuse à enlever les filles « en mode Alerte enlèvement ». De toute façon, le seul qu’elle « aime d’amour » Esther, c’est son père. C’est lui le plus fort, le plus beau et le plus intelligent ! Bref, il a toutes les qualités d’un papa gâteau. Le seul hic : c’est qu’il refuse de lui acheter un iPhone. La vie c’est vraiment trop injuste !
Dans un langage très djeuns, « avec des gros mots », Esther s’est donc livrée à Riad Sattouf sur ses rêves, ses envies, ses peines, etc. Son quotidien de préado dans une société française parfois décontenancée par sa jeunesse. Car, en découvrant les pensées les plus intimes de cette petite fille aux longs cheveux noirs et yeux malins, on a l’impression d’être déjà vieux et vieilles, même à 25 ans. Franchement, est-ce qu’à 10 ans on avait envie d’un téléphone portable ou du dernier casque audio LG3000 ? Avait-on déjà entendu parler de « Youpaurne » ? Oui, oui, Esther et ses copains et copines peuvent vous faire un dessin, si vous voulez. Normal, ils et elles sont cette génération Z hyperconnectée et avec un train d’avance. À peine avons-nous le temps de comprendre comment faire un GIF animé, qu’ils et elles sont déjà en train de retoucher leur selfie sur Photoshop et de live-tweeter en regardant The Voice.
Heureusement, si les nouvelles technologies font parfois grandir les enfants trop vite, elles n’enlèvent rien à leur joyeuse légèreté. Esther est peut-être obnubilée par son envie viscérale d’avoir un portable, de jouer aux grandes et de faire comme papa. Elle reste avant tout une petite fille de dix ans à travers laquelle on ne manquera pas de se reconnaître. Elle ne veut pas qu’on l’accompagne jusque devant les portes de son école, parce que c’est trop la honte de faire la bise à sa maman devant tout le monde. Souvent, elle se rêve en star de la pop « genre Beyoncé » et prend des poses lascives devant le miroir de sa salle de bain. Elle est persuadée qu’avec Louis, son mari, c’est pour la vie. Un baiser est une promesse de fidélité, non ? Enfin, quelques fois, elle se demande comment serait sa vie avec deux papas, si le racisme c’est d’ignorer un camarade parce qu’il est chinois, pourquoi dans la guerre de Cent Ans il y a ni de « rebeus ni de renois »… Dans son esprit ingénu fourmillent des milliers de questions auxquelles ses parents ne savent pas toujours quoi répondre…
Riad Sattouf, le poto des djeuns
Ce n’est pas la première fois que l’artiste croque la société à travers le regard des jeunes. C’est même un spécialiste ! Il y a d’abord eu le Manuel du puceau, Ma circoncision, mais aussi Le retour au collège et La vie secrète des jeunes, chronique qu’il a tenue pendant huit ans dans le journal Charlie Hebdo. Puis le succès des films Les Beaux Gosses et Jacky au royaume des filles, teen movies décalés qui se moquent gentiment des garçons en pleine crise de la puberté. Sans parler de son best-seller mondial : L’Arabe du futur, vendu à 250 000 exemplaires, couronné par un Fauve d’or à Angoulême et traduit en 14 langues. Une bande dessinée faussement légère qui raconte son enfance entre la Libye, la Syrie et la France.
Pour Riad Sattouf, le comportement des jeunes, leurs réflexions, c’est ce qui raconte la société de la façon la plus pertinente. Il prend un réel plaisir à montrer l’état de leur moralité et comment se construit leur identité sexuelle. Esther, comme beaucoup de petites filles, se voit en princesse. « Quand elle était petite, elle adorait les Disney. Leur éducation est faite par ces films-là. C’est marrant comment les conventions s’installent… et comment la rébellion face à ces conventions s’installe aussi. J’aimerais bien suivre cette petite fille jusqu’à ses 18 ans et observer la construction de sa personnalité », observait Riad Sattouf sur RTL.
Jusqu’à présent, Riad Sattouf s’était surtout attardé sur les garçons. Il serait intéressant et avouons-le amusant, de découvrir les premiers pas dans l’adolescence d’Esther comme un journal intime à ciel ouvert. Pour le moment, son ambition est de devenir chanteuse, souple, belle et mariée à un rappeur. D’ici ses 18 ans, elle a encore le temps de changer d’avis, de mentalité et de morphologie au même rythme que la société. Histoire à suivre…
Allary Éditions
21/01/2016
56
16,90 €
Après La Vie secrète des jeunes, la nouvelle chronique de notre époque par Riad Sattouf, prépubliée dans L’Obs. Écrits d’après les histoires vraies d’Esther A.*, Les Cahiers d’Esther nous plongent dans le quotidien d’une fille de 10 ans qui nous parle de son école, ses amis, sa famille, ses idoles. Que sont Tal, Kendji Girac ou bien les têtes brûlées ? Quels sont les critères de beauté que doivent avoir les garçons et les filles pour être populaires ? Comment fait-on quand on a des copines plus riches que soi ?